Bactéries Hautement Résistantes émergentes : BHRe
Entérobactéries productrices de carbapénèmase
La situation relative aux entérobactéries productrices de carbapénèmase (EPC), si elle est moins préoccupante actuellement en France, est inquiétante au niveau mondial. Les données du réseau EARSS montrent que :
⇒ le pourcentage de K. pneumoniae résistante à l’imipénème dans l’espèce augmente d’une année sur
l’autre ;
⇒ Certains pays ont d’ores et déjà des taux supérieurs à 1 %, encore plus élevés dans des pays comme Israël ou la Turquie et approchant 50 % dans des pays comme la Grèce.Les EPC sont porteurs de carbapénèmase de types différents. Parmi elles, NDM-1 semble prédominant dans le sous-continent indien, KPC prédomine dans le pourtour méditerranéen (Grèce, Israël et Turquie),mais aussi dans
le Nord-Est des États-Unis, alors que OXA-48 est surtout trouvé en Afrique du Nord. Au niveau national, le bilan réalisé par l’institut de veille sanitaire (InVS) début 2011 montrait une augmentation du nombre d’épisodes signalés, passant de un à deux par an avant 2008 à 28 épisodes en 2010. Cette
augmentation peut être en partie liée à un biais de signalement, puisque 32 des 42 signalements provenaient de l’interrégion Paris-Nord, où des recommandations ont été émises dès la fin 2008. Mais, l’augmentation est certaine. Les souches concernées était le plus souvent K. pneumoniae (28/42), les gènes de résistance des OXA-48 (n = 16) et des KPC (n = 15) et le pays d’origine du rapatriement la Grèce (12/33) mais aussi
l’Afrique du Nord et le proche orient. Plusieurs épidémies ou cas groupés à EPC ont été rapportées en France, toujours à partir d’un cas importé.
Que ce soit pour les EBLSE ou pour les EPC, les voyages jouent un rôle important dans la dissémination de ces souches. Ainsi, plusieurs travaux récents ont montré qu’un voyage en zone épidémique était fréquemment associé à une acquisition d’EBLSE, par exemple 24 % chez des voyageurs suédois, le voyage sur le sous-continent indien semblant associé à un taux d’acquisition encore plus élevé. Pour les EPC et en France,
des cas émergents de novo n’ont pas pour l’instant été rapportés, tous les cas identifiés l’étaient chez des patients rapatriés ou contacts d’un cas index porteur.
Les Entérocoques résistants aux Glycopeptides : Quel est le problème ?
Les entérocoques appartiennent à la flore résidente du tractus gastro-intestinal humain. Ces bactéries sont habituellement inoffensives et ne sont pas considérées comme des pathogènes stricts. Elles sont principalement à l’origine de colonisation. Cependant, quand la relation commensale avec l’hôte est perturbée, les entérocoques peuvent provoquer des pathologies invasives comme des endocardites, des bactériémies, des méningites, des infections urinaires ou des infections de plaie. La grande majorité des infections à entérocoques sont causées par Enterococcus faecalis (environ 80% des isolats cliniques) et Enterococcus faecium (environ 20%).
Les entérocoques prennent une part croissante dans les infections acquises en milieu de soins. Aux Etats-Unis, 3 à 4 bactériémies nosocomiales pour 10000 admissions sont causées par les entérocoques. Une surmortalité et une augmentation de la durée de séjour des patients sont les conséquences de ces infections. Durant la dernière décennie, les microbiologistes ont vu émerger des entérocoques résistants aux glycopeptides (ERG).
Chronologie de l’acquisition des résistances par les Entérocoques :
L’émergence de microorganismes résistants aux antibiotiques est un problème majeur de santé publique. Il est important de prendre en considération le déclin progressif du développement de nouveaux antibiotiques en regard de la dispersion dans les hôpitaux et dans la communauté de nouvelles résistances.
Aux Etats-Unis, la première résistance aux antibiotiques acquise par les entérocoques est apparue durant les années 70 avec l’apparition de résistance à l’amoxicilline chez E.faecium, suivie par la résistance aux aminosides dans les années 80. Par ailleurs, les glycopeptides prenaient une place de plus croissante dans le traitement des infections à Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM). Une résultante était l’apparition de résistances aux glycopeptides parmi les entérocoques détectées pour la première fois à la fin des années 80. Ces souches ont focalisées l’attention sur les difficultés de traitement inhérentes à cette résistance.
Parmi plusieurs profils de résistance, le génotype vanA est le plus fréquent. Ce gène confère à ces bactéries une résistance de haut niveau à la vancomycine et à la teicoplanine. Cette résistance est transférable aux S.aureus, pathogènes stricts et largement répandus dans les structures de soins Françaises. Des souches de SARM ayant acquise cette nouvelle résistance aux glycopeptides ont déjà été décrites aux Etats-Unis. La dispersion de ces souches de Staphylococcus aureus résistants aux β-lactamines et aux glycopeptides poserait un problème important dans la prise en charge des infections acquises à l’hôpital.
Epidémiologie des ERG :
La première souche d’Enterococcus faecium présentant une résistance de haut niveau aux glycopeptides a été décrite en France en 1987. Il est communément admis que l’utilisation d’avoparcine en complément alimentaire dans l’élevage animal serait associée à l’émergence de GRE, retrouvés dans les excréments. Ces souches seraient alors entrées dans la chaîne alimentaire pour finalement coloniser l’homme. L’administration de glycopeptides lors d’une hospitalisation de ces patients potentialiserait l’émergence de ces souches et leur dispersion. Ce phénomène de propagation serait expliqué par la transmission croisée entre patients hospitalisés, dans des secteurs utilisant fréquemment les antibiotiques comme les réanimations ou les soins intensifs.
Les facteurs de risque de colonisation à ERG communément décrits sont : l’exposition à une antibiothérapie, les pathologies hématologiques, les insuffisances rénales, les transplantations, les longs séjours d’hospitalisation ou l’exposition aux secteurs de réanimation.
Le principal site de colonisation est le tractus digestif. Les modes de transmission entre patients et personnels soignants sont : le manuportage, le matériel ou l’environnement contaminés. Depuis leur première identification aux Etats-Unis en 1989-1990, les ERG sont devenus endémiques dans ce pays et, sont classées au troisième rang des bactéries multi-résistantes principalement retrouvées en réanimation. Dans ces secteurs d’activité, la résistance dans l’espèce entérocoque est passée de 1% en 1989 à 28% en 2003. Cette émergence coïncide avec l’utilisation des glycopeptides dans le traitement des infections à SARM ou des diarrhées à Clostridium difficile. Parmi les antibiotiques les plus cités comme à l’origine de colonisation à ERG sont décrits : les cephalosporines, la vancomycine ou les fluoroquinolones. Les données du système européen de surveillance des BMR montre un taux de résistance dans l’espèce E.faecium supérieur à 20% dans certains pays (Ireland, Portugal, Grèce, Royaume Unis…) et inférieur à 1% dans d’autres comme les pays scandinaves. Une augmentation de la résistance a également été remarquée en Allemagne, Israël et en Slovénie.
En France, de 2001 à juin 2008, 382 signalements à ERG ont été effectués par 157 établissements de santé (ES) dont 118 (30,1 %) de l’inter-région Paris-Nord (dont 73 de l’Île-de-France). Il s’agissait de E. faecium pour 341 (89,2 %) signalements et de E. faecalis pour 29 (7,6 %) ; 59 (15,4 %) concernaient des cas groupés (n>2 cas) à la date du signalement. En 2007, le nombre de signalements (n=141) a plus que triplé par rapport à 2005 et 2006. Les données épidémiologiques disponibles suggèrent aujourd’hui qu’il n’y a pas d’épidémie nationale à ERG, mais une succession d’épidémies régionales, plus ou moins bien maîtrisées en fonction de la rapidité et de l’intensité de la mise en place des mesures de maîtrise recommandées. En 2007, la proportion de résistance à la vancomycine dans l’espèce E. faecium restait inférieure à 2 % en France (source : EARSS) et la prévalence des infections nosocomiales (IN) à ERG en 2006 était inférieure à 0,01 %.
Mesures de prévention de la transmission croisée des ERG :
Pour les nombreuses raisons décrites précédemment, la maîtrise de l’émergence et de la dispersion des ERG est essentielle.
Le Haut Conseil de Santé Publique recommande :
- l’isolement du patient avec des précautions type BMR,
- d’arrêter les transfert des patients colonisés et des patients contacts (patients pris en charge par la même équipe soignante et médicale),
- limiter les admissions aux seules urgences en attendant l’évaluation de la situation,
- dépister l’ensemble des patients présents dans le service à l’aide d’un écouvillonnage rectal.
Une triple sectorisation doit ensuite être mise en place : un secteur regroupant les patients colonisés, un secteur regroupant les patients contacts et un secteur regroupant les patients indemnes. Après 3 prélèvements négatifs, les patients contacts peuvent être transférés mais isolés dans leur service d’accueil et leur dépistage poursuivi tout au long de leur hospitalisation. L’utilisation des antibiotiques doit être limitée afin de diminuer la pression de sélection.
Une bonne observance de l’hygiène des mains est la meilleure mesure de prévention de la transmission croisée des BMR. Le risque de transmission est augmenté lorsque le patient est diarrhéique. Les précautions doivent être plus strictes pour ces patients afin de diminuer le risque de transmission et la contamination environnementale.
Messages à retenir :
- Il existe un risque de transmission de la résistance aux glycopeptides des ERG aux SA
- Les infections à ERG sont difficiles à traiter
- Un patient connu comme colonisé à ERG doit être considéré comme tel durant toute la durée de l’hospitalisation (même si les dépistages se négatives avec le temps)
- Des mesures d’hygiène strictes basées sur un isolement BMR permettent de prévenir la transmission croisée des ERG
- Plus tôt les mesures d’hygiène sont mises en place, plus rapide est la gestion d’une éventuelle épidémie